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June 27, 2025
TEMPS FUTURS. Recension

A l'heure où le président des USA bombarde des centres nucléaires pour mettre fin à la menace nucléaire, il est temps de vous présenter un ouvrage bien trop peu connu mais qui colle malheureusement parfaitement à l'actualité : "Temps Futurs", d'Aldous Huxley. Couverture sympa, un peu intriguante, à la manière de l'homme parfait de de Vinci.
Ecrit en 1948 (comme "1984" de George Orwrell), il décrit notre planète en 2108, après la 3ème Guerre mondiale, nucléaire. Le monde a été détruit presque totalement , l'Humanité s'est trouvée séparée en plusieurs groupes humains, survivant les uns sans la connaissance de l'existence des autres.

Introduction : le prétexte du livre est un scénario retrouvé par hasard par des producteurs qui le partagent au lecteur. L'ambiance du film est un peu roccoco, un peu décalée par rapport au fond du sujet. Un Récitant balance le contexte et des scènes théatrales émaillent le texte

Résumé : Seule la Nouvelle-Zélande fût épargnée par les ravages et conséquences de la guerre, car trop éloignée des combats pour attirer l'attention. (voir texte)

L'histoire décrite est l'aventure d'un botaniste néo-zélandais débarquant en Californie avec une équipe de scientifiques, comme des explorateurs du nouveau monde après l'apocalypse

Le Dr Poole, le héros, se fait kidnapper et découvre les habitants de cette contrée hostile, touchée à la fois par La Chose ( les radiations du conflit nucléaire ayant frappé la Terre (voir texte) et par la Morve (voir texte), une maladie qui vous fera certainement penser à une autre...

Le Dr Poole découvre alors un monde organisé autour du culte du diable, Bélial, dans lequel le Bien et le Mal semblent inversés.

Les déformations génétiques sont telles qu'il a été décidé que toutes les femmes (appelées "vases" et considérées comme impies puisqu'elles portent la déformation et la monstruosité en elles), engendrant des enfants difformes seraient marquées (rasées) et leur progéniture sacrifiée, détruite afin de ne pas permettre de reproduction de ces difformités.

Il apprendra qu'il est également interdit d'avoir des relations sexuelles en dehors de quelques semaines par ans, durant lesquelles des orgies "sataniques" ont lieu, et qu'en dehors de la religion tous se disent en démocratie.

Le monde décrit en 1948 (même année que 1984) par Huxley ressemble beaucoup à celui qu'il entrevoyait pour après-demain. Pour nous il s'agit seulement de demain.

Il est intéressant de remarquer que cette histoire possède quelques points communs avec 1984 mais aussi quelques différences majeures, et pourtant les 2 sont un peu réalisés aujourd'hui

Tout d'abord il y a la Morve, qui ressemble beaucoup à notre Covid, et ensuite l'ironie avec laquelle Huxley décrit le cynisme de la science qui peut tuer. On reconnaît tout le savoir-faire occidental [p44-45]

Et puis surtout il y a le culte du diable, Bélial. La perversion des valeurs, l'inversion du Bien et du Mal. Dans le monde décrit par Huxley, les Humains se sont laissés envahir par la peur qui chasse l'amour.(p55). Quand on lit ces pages on pense immédiatement au conflit russo-ukrainien ou israélo-palestinien

Dans ce monde apocalyptique les livres sont brûlés pour faire cuire le pain, les Humains sont des esclaves vivant dans la mort et la violence, la hane et la peur, l'oppression et le culte (voir catechisme de Bélial).

je voudrais ici vous partager les passages que je considère comme les plus marquants, car ils sont l'explication passée des "Temps Futurs" de Huxley et qui correspond à notre temps présent. Vous y trouverez sans doute comme moi de nombreux points d'accroche avec notre réalité.

Ces passages, je les ai d'abord pris en photo directement sur le livre de poche (réf : ISBN : 9782259221276), puis reproduits grâce à l'IA du téléphone, qui a fait quelques erreurs que je me suis efforcé de corriger, il en reste certainement. J'ai également coupé certaines descriptions internes aux passages retenus car elles n'étaient pas utiles au propos. Les photos des pages sont disponibles à la fin

LE RÉCITANT La Morve, mes amis, la Morve - maladie des chevaux, peu commune chez les humains Mais n'ayez crainte, la Science peut aisément la rendre universelle. Et en voici les symptômes. Des douleurs violentes dans toutes les articulations. Des pustules sur tout le corps. Sous la peau, des tumeurs dures, qui finissent par crever et se changer en ulcères squameux. Cependant, la muqueuse nasale s'en- flamme et dégage une décharge abondante de pus nauséabond. Il se forme rapidement des ulcères à l'intérieur des narines, lesquels rongent l'os et le cartilage environnant. L'infection passe du nez dans les yeux, la bouche, la gorge et les ouvertures bronchiales. Au bout de trois semaines, la plupart des malades sont morts. S'assurer que tous mourront, telle a été la tâche de quelques-uns de ces brillants docteurs ès sciences actuellement au service de votre gouvernement. Et non pas de votre gouvernement seul; de tous les autres organisateurs, élus ou désignés par eux-mêmes, de la schizophrénie collective du monde. Les biologistes, les pathologistes, les physiologistes - les voici, après une journée ardue passée au laboratoire, qui rentrent dans leur famille, Une étreinte de la gentille petite femme. Des ébats avec les enfants. Un diner tranquille avec des amis, suivi d'un concert de musique de chambre ou d'une conversation intelligente sur la politique ou la philosophie. Puis le lit, à onze heures, et les extases familières de l'amour conjugal. Et, le lendemain matin, après un jus d'orange et des grapenuts', les voilà qui repartent à leur travail qui est de découvrir comment un nombre encore plus grand de familles exactement pareilles à la leur pourra être infecté par une souche encore plus mortelle de bacillus mallei.
[p48-49]

LE RÉCITANT

L'amour chasse la peur, mais réciproquement la peur chasse l'amour. Et non seulement l'amour. La peur chasse aussi l'intelligence, chasse la bonté, chasse toute idée de beauté et de vérité. Ce qui reste, c'est le désespoir muet ou laborieusement blagueur de quelqu'un qui a conscience de la présence hideuse dans l'angle de la pièce et qui sait que la porte est fermée à clef, qu'il n'y a pas de fenêtres. Et voici que la chose s'abat sur lui. Il sent une main sur sa manche, subodore une haleine puante, tandis que l'assistant du bourreau se penche presque amoureusement vers lui. "C'est ton tour, frère. Aie donc l'amabilité de venir par ici". Et en un instant Sa terreur silencieuse est transmuée en une folie aussi violente qu'elle est futile : il n'y a plus là un homme parmi ses semblables, il n'y a plus un être raisonnable, parlant d'une voix articulée à d'autres êtres raisonnables ; il n'y a plus qu'un animal lacéré, hurlant et se débattant dans le piège. Car, en fin de compte, la peur chasse même l'huma- nité de I'homme. Et la peur, mes bons amis, la peur est la base et le fondement de la vie moderne. La peur de la technologie tant prônée, qui, si elle élève notre niveau de vie, accroît la probabilité de mort violente. La peur de la science, qui enlève d'une main plus encore qu'elle ne donne avec une telle profusion de l'autre. La peur des institutions dont le caractère mortel est démontrable et pour lesquelles dans notre loyalisme suicidaire, nous sommes prêts à tuer et à mourir. La peur des Grands Hommes que, par acclamation populaire, nous avons élevés à un pouvoir qu'ils utilisent, inévitablement, pour nous assassiner et nous réduire en esclavage. La peur de la Guerre dont nous ne voulons pas et que nous faisons cependant tout notre possible pour déclencher. [p55]

Pascal : "On se fait une idole de la vérité, car la vérité hors de la charité n'est pas Dieu, et est son image, et une idole, qu'il ne faut point aimer ni adorer" [p58]

La tragédie est la farce qui touche notre sensibilité ; la farce, la tragédie qui advient aux autres [p63]

"Voilà qui a l'air bon", dit le Chef d'un ton jovial. Le boucher sourit et, de ses doigts rougis de sang, fait le signe des cornes. A quelques mètres de là sont les fours commu- naux. Le Chef ordonne à ses porteurs de faire halte et accepte aimablement un morceau du pain tout chaud. Tandis qu'il mange, dix ou douze petits garçons entrent dans la rue, chancelant sous des charges excessives de combustible provenant de la Bibliothèque publique voisine. Ils jettent leurs fardeaux à terre et, stimulés par les coups et les jurons de leurs aînés, se dépêchent d'aller en chercher d'autres. Un des boulangers ouvre la porte d'un foyer et se met à pelleter les livres dans les flammes. L'homme cultivé qui est au coeur du Pr Poole, le bibliophile, est révolté par ce spectacle. "Mais c'est épouvantable !" proteste-t-il. Le Chef se contente de rire. "On enfourne la Phénoménologie de l'Esprit, on défourne du pain. Et il est diantrement bon, le pain". ll y mord à nouveau. [p91]

QUESTION : A quel sort l'Homme est-il predestiné? RÉPONSE : Bélial a, de par son simple bon plaisir, et de toute éternité, voué toux ceux qui Sont actuellement en vie à la perdition éternelle. "Pourquoi porte-t-il des cornes ? demande le Pr Poole.
-II est Archimandrite, explique le Chef. Il ne tardera pas à obtenir sa troisième corne". "Excellent, dit le Praticien en Science Satanique, d'une voix de fausset analogue à celle d'un garçonnet extraordinairement poseur et satisfait de lui-même, Excellent !" Il s'essuie le front. "Et maintenant, dites, moi pourquoi vous méritez la perdition éternelle". Il y a un instant de silence. Puis, en un coeur qui débute assez irrégulièrement mais s'enfle bientôt jusqu'à une bruyante unanimité, les enfants répondent : "Bélial nous a pervertis et corrompus dans toutes les parties de notre être. C'est pourquoi, simplement en raison de cette corruption, nous sommes à bon droit condamnés par Bélial". Leur professeur hoche la tête d'un air approbateur. "Telle, piaille-t-il d'une voix onctueuse, est I'insondable justice du Seigneur des Mouches.
- Amen", répondent, en psalmodiant, les enfants. Tous font le signe des cornes. "Et que savez-vous de votre devoir envers votre prochain ?
- Mon devoir envers mon prochain répond le chœur, est de m'efforcer de l'empêcher de me faire ce que je voudrais lui faire ; de me soumettre à tous mes dirigeants ; de garder mon corps dans la chasteté absolue, sauf pendant les deux semaines qui suivent la Fête de Bélial ; et de remplir mon devoir dans le rang social auquel il a plu a Bélial de me condamner.
- Qu'est-ce que I'Eglise ?
- L'Eglise est le Corps dont Bélial est la Tête et tous les possédés sont les membres. [p94-95]

[Pages 115 à 135] :

La main gauche du Patriarche se referme autour du cou du bébé. "Non, non, pas ça ! Je vous en prie !" Polly fait un mouvement vers lui, mais est retenue par les Postulants. Posément, tandis qu'elle sanglote, le Patriarche embroche l'enfant sur son couteau, puis lance le cadavre dans le noir, derrière l'autel. Il y a un cri strident. Premier plan à moyenne distance du Pr Poole. Bien visible sur son siège du premier rang, il est évanoui.

[Fondu enchaîné sur l'intérieur de l'Impie des Impies. Le sanctuaire, qui se dresse à l'une des extrémités de l'arène, à côté du maître-autel, est une petite pièce oblongue en briques séchées au soleil, avec un autel au fond et, en face, une porte coulissante à deux battants, fermés à présent mais pas complètement, et cet interstice central permet d'apercevoir ce qui se passe dans l'arène. Sur un canapé, au milieu du sanctuaire, est étendu l'Archi-Vicaire. Non loin de là, un Postulant sans cornes fait griller des pieds de porc panés sur un fourneau à charbon de bois et, près de lui, un Archimandrite à deux cornes s'active de son mieux pour ranimer le Pr Poole, qui gît sans connaissance sur une civière.]

L'eau froide et deux ou trois soufflets vigoureux en plein visage produisent enfin le résultat désiré. Le botaniste pousse un soupir, ouvre les yeux, pare une autre gifle et se dresse sur son séant "Où suis-je ? Dans I'Impie des Impies, répond l' Archimandrite. Et voici Son Éminence."

Le Pr Poole reconnaît le grand homme et a suffisamment de présence d'esprit pour incliner respectueusement la tếte.
"Qu'on apporte un tabouret", ordonne l'Archi-Vicaire. On apporte le tabouret. L'Archi-Vicaire fait signe au Pr Poole qui se lève péniblement, traverse la pièce d'un pas assez mal assuré et s'assied. A ce moment, un hurlement particulièrement strident lui fait tourner la tête. Plan général du maître-autel, vu d'où il se trouve : le Patriarche lance un autre petit monstre dans |'obscurité ; tandis que ses acolytes font pleuvoir des coups sur sa mère hurlante. Retour au Pr Poole qui frissonne et se cache la tête dans les mains.

Pendant cette séquence, nous entendons la mélopée monotone des fidèles assemblés : "Sang sang, sang."
"Horrible ! dit le Pr Poole. Horrible !
- Et pourtant il y a du sang dans votre religion également, fait remarquer l'Archi-Vicaire avec un sourire ironique. Lavé dans le sang de l'Agneau. N'est-ce pas exact ?
- Parfaitement exact, reconnaît le Pr Poole. Mais nous ne procédons pas effectivement au lavage. Nous nous contentons d'en parler ou, plus souvent, d'en faire l'objet de nos chants, dans des cantiques."
Le Pr Poole détourne les yeux. Il y a un silence. A ce moment, le Postulant s'approche portant un grand plat qu'il pose, avec deux bouteilles, sur une table à côté du canapé. Empalant un des pieds panés sur une authentique contrefaçon XXè siècle d'une fourchette du début de l'époque géorgienne, l'Archi-Vicaire se met à le grignoter.
"Servez-vous, piaille-t-il entre deux bouchées. Et voilà du vin", ajoute-t-il, indiquant l'une des bouteilles.
Le Pr Poole, qui a une faim de loup, obéit avec empressement, et il a un nouveau silence, empli par le bruit qu'ils font en mangeant et par la mélopée du sang.
"Vous n'y croyez pas, bien entendu, dit enfin l'Archi-Vicaire, la bouche pleine.
-Mais je vous assure...", proteste le Pr Poole. Son zèle de conformisme est excessif, et l'autre lève une main potelée, luisante de graisse de porc "Allons, allons ! Mais j'aimerais que vous sachiez que nous avons de bonnes raisons de croire comme nous le faisons. Notre foi, cher monsieur, est rationnelle et réaliste. [COUPE]

"Selon ce que je comprends à l'histoire dit-il, voici ce qui s'est passé. L'Homme se dresse contre la Nature, le Moi contre l'Ordre des Choses, Bélial (un signe des cornes, machinal) contre l'Autre. Durant cent mille ans environ, la bataille reste indécise. Puis, il y a trois siècles, presque du jour au lendemain, le flot s'est mis à couler sans interruption dans une seule direction. Lentement d'abord, puis avec un élan croissant, l'homme commence à gagner du terrain sur l'Ordre des Choses. Tandis qu'une fraction de plus en plus importante de la race humaine s'aligne derrière lui, le Seigneur des Mouches, qui est également la Mouche à Viande dans le coeur de chacun, inaugure sa marche triomphale à travers un monde dont il deviendra si vite le Maître indiscuté. Cela a commencé avec les machines et les premiers bateaux de blé du Nouveau Monde. Des aliments pour ceux qui ont faim, et un fardeau enlevé aux épaules des hommes. "Ô Dieu, nous Te remercions de tous les bienfaits que, dans Ta libéralité..."et caetera, et caetera. Inutile de le souligner, personne n'obtient jamais quoi que ce soit pour rien. Les libéralités de Dieu ont leur prix, et Bélial veille toujours à ce qu'il soit salé. Prenons les machines, par exemple. Bélial savait parfaitement que, en trouvant un léger soulagement à son labeur, la chair serait subordonnée au fer et que l'esprit serait rendu esclave des rouages. Il savait que, si une machine est à l''épreuve des sots, il faut aussi qu'elle soit à l'épreuve de l'habileté, du talent, de l'inspiration. Votre argent vous est remboursé au cas où le produit serait défectueux , et iI est remboursé double si vous êtes capable d'y trouver la moindre trace de génie ou d'individualité ! Et puis, il y a eu ces bons aliments du Nouveau Monde. "Ô Dieu, nous te remercions..." Mais Bélial savait que nourrir, cela signifie procréer. Au temps jadis, quand les gens faisaient l'amour, ils accroissaient simplement le taux de la mortalité infantile et raccourcissaient I'espérance de vie. Mais après la venue des bateaux de vivres, ce fut différent. La copulation a donné la population, et dans les grandes dimensions." Une fois de plus, l'Archi-Vicaire émet son rire strident.

"Ô Dieu, psalmodie-t-il, de la voix légèrement chevrotante qui est toujours considérée comme appropriée pour des propos de ce genre, nous Te remercions de toutes ces âmes immortelles." Puis, changeant de ton : "Ces âmes immortelles, logées dans des corps qui d'année en année sont de plus en plus maladifs, galeux, rabougris, tandis qu'adviennent inévitablement toutes les choses prévues par Bélial. Le surpeuplement de la planète. Deux cents, trois cent cinquante, parfois jusqu'à huit cents personnes par kilomètre carré de sol vivrier, et le sol en cours de dévastation à cause d'une mauvaise exploitation agricole. Partout l'érosion, partout la désagrégation des minéraux. Et les déserts qui s'étendent, les forêts qui s'amenuisent. Même en Amérique, même en ce Nouveau Monde, qui fut jadis l'espoir de l'Ancien. Voilà qu'augmente la spirale industrielle et que diminue la spirale de la fertilité du sol. De plus en plus grand, de mieux en mieux, de plus en plus riche, de plus en plus puissant, et alors, presque soudainement, on a de plus en plus faim. Oui, Bélial a tout prévu, le passage de la faim aux aliments importés, des aliments importés à la population en augmentation, et l'on retourne de la population en augmentation à la faim. Retour à la faim. A la Faim nouvelle, la Faim supérieure, la Faim du prolétariat industrialisé, la Faim des citadins munis d'argent, du confort moderne, d'automobiles, de postes de radio et de tous les appareils ménagers imaginables, la Faim qui est la cause des guerres totales, et les guerres totales qui sont la cause de plus de faim encore." L'Archi-Vicaire s'arrête pour avaler une nouvelle gorgée à sa bouteille.
"Et souvenez-vous de ceci, ajoute-t-il, même sans la Morve synthétique, même sans la bombe atomique, Bélial aurait pu réaliser tous ses desseins. Un peu plus lentement peut-être mais tout aussi sûrement, les hommes se seraient détruits eux-mêmes en détruisant le monde dans lequel ils vivaient. Ils ne pouvaient pas y échapper. Il les tenait embrochés sur Ses deux cornes. S'ils parvenaient à se dégager de la corne de la guerre totale, ils se trouvaient empalés sur celle de la famine. Et s'ils étaient affamés, ils étaient tentés de recourir à la guerre. Et pour le simple cas où ils essaieraient de trouver un moyen pacifique et raisonnable pour sortir de leur dilemme, Il avait en réserve pour eux une autre corne de suicide plus subtile. Dès le début de la révolution industrielle, il avait prévu que les hommes seraient gratifiés d'une présomption tellement outrecuidante pour les miracles de leur propre technologie qu'ils ne tarderaient pas à perdre le sens des réalités. Et c'est précisément ce qui est arrivé. Ces misérables esclaves des rouages et des registres se mirent à se féliciter d'être les Vainqueurs de la Nature. Vainqueurs de la Nature, vraiment ! En fait, bien entendu, ils avaient simplement renversé l'équilibre de la Nature et étaient sur le point d'en subir les conséquences. Songez donc à quoi ils se sont occupés au cours du siècle et demi qui a précédé la Chose. À polluer les rivières, à tuer tous les animaux sauvages, au point de les faire disparaître, à détruire les forêts, à délaver la couche superficielle du sol et à la déverser dans la mer, à consumer un océan de pétrole, à gaspiller les minéraux qu'il avait fallu la totalité des époques géologiques pour déposer. Une orgie d'imbécillité criminelle. Et ils ont appelé cela le Progrès. Le Progrès ! Je vous le dis, c'était une invention trop fantastique pour qu'elle ait été le produit d'un simple esprit humain - trop démoniaquement ironique ! Il a fallu pour cela une Aide extérieure. Il a fallu la Grâce de Bélial, qui, bien entendu, est toujours offerte - du moins, à quiconque est prêt à coopérer avec elle. Et qui ne l'est pas ?
Qui ne l'est pas?" répète le Pr Poole avec un petit gloussement de rire, car il se dit qu'il lui faut, d'une façon
Ou d'une autre, racheter son erreur au sujet de l'Église à l'Age des Ténèbres.

"Le Progrès et le Nationalisme - ce sont les deux grandes idées qu'il leur a mises en tête. Le Progrès -le postulat selon lequel vous pouvez obtenir quelque chose pour rien, selon lequel vous pouvez gagner dans un domaine sans payer ce gain dans un autre, selon lequel vous seul comprenez la signification de l'histoire, vous savez ce qui va arriver d'ici cinquante ans ; que quoi qu'enseigne l'expérience, vous pouvez prévoir toutes les conséquences futures de vos actes actuels ; que l'Utopie est là devant nous, toute proche et, puisque les fins idéales justifient les moyens les plus abominables, qu'il est de votre privilège et de votre devoir de voter, d'escroquer, de torturer, de réduire en esclavage et d'assassiner tous ceux qui à votre avis (lequel est par définition infaillible), font obstacle à la marche en avant vers le paradis terrestre. Souvenez-vous de cet aphorisme de Karl Marx : "La Force est l'accoucheuse du Progrès." Il aurait pu ajouter -mais, bien entendu, Bélial na pas voulu qu'on vende la mèche si tôt au début des opérations - que le Progrès est l'accoucheur de la Force. Doublement l'accoucheur, car le fait du progrès technologique fournit aux gens les instruments d'une destruction sans cesse plus aveugle, cependant que le mythe du progrès politique et moral sert d'excuse à l'emploi de ces moyens jusqu'à l'extrême limite. Je vous le dis, cher monsieur, l'historien incrédule est fou. Plus on étudie l'histoire moderne, plus on acquiert de preuves de la Main directrice de Bélial."

L'Archi-Vicaire fait le signe des cornes, se restaure d'une nouvelle gorgée de vin, puis continue : "Et ensuite il y a eu le Nationalisme, l'idée que l'État dont on se trouve être le sujet est le seul dieu véritable, et que tous les autres Etats sont de faux dieux ; que tous ces dieux, les vrais comme les faux, ont la mentalité de jeunes délinquants ; et que tout conflit au sujet du prestige, du pouvoir ou de l'argent est une croisade en faveur du Bien, du Vrai et du Beau. Le fait qu'à un moment donné de l'histoire des idées pareilles en soient venues à être universellement acceptées est la meilleure preuve qu'il a enfin gagné la bataille.
- Je ne comprends pas très bien.
- Mais c'est évident, voyons. Vous avez là deux idées fondamentales. Chacune d'elles est intrinsèquement absurde et chacune d'elles mène à des lignes de conduite dont on peut démontrer qu'elles sont funestes. Et pourtant toute l'humanité civilisée décide, presque soudainement, d'accepter ces idées comme directives de conduite Pourquoi ? Et à l'instigation de Qui, sur la proposition de Qui, sous l'inspiration de Qui ? Il ne peut y avoir qu'une seule réponse.

- Vous voulez dire que vous croyez que c'était.. que c'était le Diable ?
- Qui donc, en dehors de lui, désire l'avilissement et la destruction de la race humaine ?
- Bien sûr, bien sûr, acquiesce le Pr Poole. Mais, malgré tout, en tant que chrétien protestant, je ne peux vraiment pas..
- Ah, oui? dit l'Archi-Vicaire d'un ton sarcastique. Alors, vous en savez plus long que Luther, vous en savez plus long que toute l'Eglise chrétienne. Vous rendez-vous compte, monsieur, qu'à dater du deuxième siècle aucun chrétien orthodoxe n'a cru qu'un homme puisse être possédé de Dieu ? Il ne pouvait être possédé que du Diable. Et pourquoi croyait-on cela? Parce que les faits mettaient les gens dans l'impossibilité de croire autre chose. Bélial est un fait, Moloch est un fait, la possession diabolique est un fait.
- Je proteste! s'écrie le Pr Poole. En tant qu'homme de science.
- En tant qu'homme de science, vous êtes tenu d'accepter l'hypothèse de travail qui explique les faits de la facon la plus plausible. Or quels sont-ils, les faits ? Le premier est un fait d'expérience et d'observation - autrement dit que personne ne désire souffrir, ne veut être avili, ne veut être mutilé ou tué. Le second est un fait d'histoire, le fait qu'à une certaine époque la majorité écrasante des êtres humains a accepté des croyances et adopté des lignes de conduite qui ne pouvaient absolument pas avoir d'autres résultats que la souffrance universelle, l'avilissement général et la des- truction en masse. La seule explication plausible, c'est qu'ils ont été inspirés ou possédés par une conscience étrangère, par une conscience qui a voulu leur perte et l'a voulue avec plus de force qu'ils n'ont pu vouloir leur propre bonheur et leur survie."
Il y a un silence.

"Bien entendu, se hasarde enfin a objecter le Pr Poole, ces faits-là pourraient s'expliquer autrement.
- Mais pas d'une facon aussi plausible, d'une façon aussi simple, à beaucoup près, insiste l'Archi-Vicaire. Et voyez donc toutes les autres preuves. Prenez la première Guerre mondiale, par exemple. Si les hommes et les politiciens n'avaient pas été possédés, ils auraient écouté Benoît XV ou Lord Lansdowne, ils se seraient entendus, ils auraient négocié une paix sans victoire. Mais ils ne l'ont pas fait, ils ne l'ont pas fait. Il leur a été impossible d'agir conformément à leur propre intérêt, ils ont été forcés de faire ce que leur dictait le Bélial qu'ils avaient en eux, et le Bélial qu'ils avaient en eux a voulu la Révolution communiste, a voulu Ia réaction fasciste à cette révolution, a voulu Mussolini, Hitler et le Politburo, a voulu la famine, l'inflation et la crise industrielle. Il a voulu les armements comme remède au chômage, Il a voulu la persécution des juifs et des koulaks, Il a voulu que les nazis et les communistes se partagent la Pologne et se fassent ensuite la guerre. Oui, et Il a voulu le rétablissement complet de l'esclavage sous sa forme la plus durable. Il a voulu les migrations forcées et la paupérisation généralisée. Il a voulu les camps de concentration, les chambres à gaz et
les fours crématoires. Il a voulu les pilonnages par bombardement intensif (quelle expression merveilleusement imagée !). Il a voulu la destruction, du jour au lendemain, de l'accumulation des richesses d'un siècle et de toutes les possibilités de prospérité, de bienséance, de liberté et de culture futures. Bélial a voulu tout cela, et comme Il était la Grosse Mouche à Viande au coeur des politiciens et des généraux, des journalistes et du commun des mortels, il Lui a été possible, sans aucune difficulté, de faire en sorte que le pape ne soit pas entendu, même des catholiques, que Lansdowne soit condamné comme mauvais patriote, presque comme traître. Et c'est ainsi que la guerre s'est prolongée durant quatre années entières ; et ensuite tout s'est déroulé ponctuellement comme prévu. La
situation mondiale est passée constamment de mal en pis et, à mesure qu'elle empirait, les hommes et les femmes sont devenus progressivement plus dociles aux directives de l'Esprit d'Impiété, Les vieilles croyances en la valeur de l'âme individuelle se sont perdues ; les vieilles contraintes ont cessé d'être efficaces ; les vieilles componctions et compassions ont disparu comme par enchantement. Tout ce que l'Autre avait jamais mis dans la tête des gens s'en est allé peu à peu, et le vide qui en résulte a été comblé par les rêves déments du Progrès et du Nationalisme. Une fois admise la validité de ces rêves, il en découlait que les simples bonnes gens d'ici n'avaient pas plus de valeur que des fourmis et des punaises et pouvaient être traités en conséquence. Et ils ont effectivement été traités en conséquence, on ne dira pas le contraire !" L'Archi-Vicaire émet un gloussement de rire suraigu et se sert le dernier pied de porc.

"Pour son époque, reprend-il, ce brave vieil Hitler a été un assez bon spécimen du démoniaque. Pas aussi possédé, bien entendu, que beaucoup d'entre les grands chefs nationaux des années comprises entre 1945 et le début de la Troisième Guerre mondiale, mais nettement au-dessus de la moyenne à son époque. Plus que pratiquement n'importe lequel de ses contemporains, il était fondé à dire : "Non pas moi, mais Bélial qui est en moi". Les autres n'ont été possédés que sporadiquement. Prenez les savants, par exemple. Des hommes bons, bien intentionnés, pour la plupart. Mais Il s'est saisi d'eux, néanmoins, Il s'est saisi d'eux à l'instant où ils ont cessé d'être des êtres humains pour devenir des spécialistes. D'où la Morve et ces bombes. Et rappelez-vous cet homme, comment s'appelait-il donc ? Celui qui a été si longtemps président des États-Unis...
- Roosevelt ? suggère le Pr Poole.
- C'est ça, Roosevelt. Eh bien, Vous souvenez-vous de cette phrase qu'il répétait continuellement durant toute la Seconde Guerre mondiale ? "Capitulation sans conditions, capitulation sans conditions."' De l'inspiration absolue, voilà ce que c'était ! De l'inspiration directe et absolue !
- Vous le dites, protesta le Pr Poole. Mais quelle preuve en avez-vous ?
- La preuve ? répéta l'Archi-Vicaire. Toute l'histoire postérieure en est la preuve. Voyez ce qui est arrivé quand cette expression est devenue une politique et a été mise en pratique. Capitulation sans conditions. Combien de millions de cas nouveaux de tuberculose ? Combien de millions d'enfants contraints de voler ou de se prostituer pour des tablettes de chocolat ? Bélial était particulièrement ravi en ce qui concerne les enfants. Et, autres exemples de capitulation sans conditions : la ruine de I'Europe, le chaos en Asie, la famine partout, les révolutions, les tyrannies. Capitulation sans conditions - et un nombre plus grand encore d'innocents ont dû subir des souffrances pires qu'à toute autre époque de l'histoire. Et, comme vous le savez fort bien, il n'est rien qui fasse plus de plaisir à Bélial que les souffrances des innocents. Puis en fin de compte, bien entendu, il y a eu la Chose. Capitulation sans conditions et pan ! - exactement comme Il en avait toujours eu l'intention. Tout cela s'est produit sans aucun miracle ni intervention spéciale, simplement par des moyens naturels. Plus on réfléchit aux œuvres de Sa Providence, plus cela semble insondablement merveilleux."
Dévotement, l'Archi-Vicaire fait le signe des cornes. Il y a une petite pause. "Ecoutez", dit-il en levant la main. Pendant quelques secondes, ils restent assis sans parler. Le débit monotone, indistinct, voilé de la mélopée s'enfle pour devenir perceptible : "Sang, sang, sang, le sang..." Il y a un cri affaibli au moment où un autre petit monstre est embroché sur le couteau du Patriarche, puis le bruit sourd des coups de nerf de boeuf sur la chair et, au milieu des rugissements surexcités des fidèles, une succession de hurlements à peine humains.
On ne croirait guère qu'Il ait pu nous produire, Nous, sans un miracle, reprend pensivement l' Archi-Vicaire Mais Il l'a fait, Il l'a fait. Par des moyens purement naturels, en utilisant les êtres humains et leur Science comme Ses instruments, Il a créé une race d'hommes entièrement nouvelle, avec la difformité dans le sang, avec la misère tout autour d'eux, et n'ayant devant eux, dans l'avenir, pas d'autre perspective que celle de plus de misère, de difformités plus affreuses, et, en fin de compte, de l'extinction totale. Oui, c'est une chose ter- rible que de tomber entre les mains du Mal vivant !
- Alors, pourquoi continuez-vous à l'adorer ?
- Pourquoi jette-t-on de la nourriture à un tigre rugissant?
Pour s'acheter un moment de répit. Pour retarder l'horreur de l'inévitable, ne serait-ce que de quelques minutes. Sur la Terre comme en Enfer. Mais, du moins, on est encore sur terre. Cela ne semble guère en valoir la peine" dit le Pr Poole, du ton philosophique de quelqu`un qui vient de dîner. Un nouveau hurlement exceptionnellement perçant lui fait tourner la tête vers la porte. Il regarde quelque temps en silence. Cette fois, son expression est celle d'une horreur considérablement radoucie par la curiosité scientifique.
"Vous vous y habituez, hein ?" dit l'Archi- Vicaire d'un ton jovial.

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Le Récitant

Oui mes amis, souvenez-vous de l'indignation que vous avez éprouvée jadis quand les Turcs massacraient plus que le contingent ordinaire d'Arméniens, de vos remerciements à Dieu, du fait que vous viviez dans un pays protestant, ami du progrès, où les choses de ce genre ne pouvaient pas se produire - ne pouvaient pas se produire parce que les hommes portaient des chapeaux melon et partaient tous les matins pour Londres par le train de huit heures vingt-trois. Puis songez un instant à quelques-unes des horreurs que vous considérez maintenant comme allant de soi ; aux violations des bienséances humaines les plus élémentaires qui ont été commises en votre nom (ou peut-être par vos propres mains) ; aux atrocités que vous montrez à votre petite fille, deux fois par semaine, quand vous l'emmenez au cinéma voir les actualités - et elle les trouve banales et ennuyeuses. Dans vingt ans d'ici, à ce train-là, vos petits-enfants ouvriront leurs postes de télévision pour regarder les jeux de gladiateurs, et quand ils commenceront à manquer d'intérêt, il y aura la crucifixion en masse, à l'armée, des objecteurs de conscience, ou l'écorchage tout vifs, entièrement en couleurs, des soixante-dix mille individus soupçonnés, à Tegucigalpa, d'activités antihonduriennes.


Cependant, dans l'Impie des Impies, le Pr Poole regarde toujours au-dehors, par la fente entre les deux battants de la porte. L' Archi-Vicaire se cure les dents. Il y a un confortable silence d'après-dîner. Soudain, le Pr Poole se tourne vers son compagnon. Il se passe quelque chose, s'écrie-t-il avec agitation. Il dit qu'il y a des limites, et l'Archi-Vicaire répond : "C'est en quoi vous vous trompez : il n'y a pas de limites. Tout le monde est capable de n'importe quoi, littéralement n'importe quoi"

Les 2 assistent à une scène monstrusuese orgiaque, puis

"Et vous avez encore des doutes au sujet de Bélial, même après cela ?" Il y a un silence. "Est-ce que cela s'est produit après... après la Chose ? questionne le Pr Poole
- En deux générations.
- Deux générations !" Le Pr Poole lâche un sifflement. "Elle n'a rien de récessif, cette mutation-là ! Et est-ce qu'ils... Ma foi, je veux dire : est-ce qu'ils ne se sentent pas l'envie de faire ça à d'autres saisons ?
- Rien que pendant les cinq semaines à venir, c'est tout. Et nous ne permettons que deux semaines d'accouplement proprement dit.
- Pourquoi ?" L'Archi-Vicaire fait le signe des cornes. "Par principe. Il faut qu'ils soient punis pour avoir été punis. C'est la Loi de Bélial. Et, je puis le dire, nous ne les ratons pas s'ils contreviennent aux règles.

ENSUITE ILS EVOQUENT LES CHAUDS

- Oui, oui, dit le Pr Poole, se souvenant avec embarras de l'épisode avec Loola dans les dunes.
- C'est passablement dur pour ceux qui reviennent, par un retour atavique, au type d'accouplement ancien
- Sont-ils nombreux ?
- De 5 à 10 % de la population. Nous les appelons "les Chauds".
- Et vous ne permettez pas...?
- Nous les exorcisons à coups de trique quand nous les attrapons
- Mais c'est monstrueux !
- Bien entendu, acquiesce I' Archi-Vicaire. Mais rappelez-vous votre histoire. Si l'on veut de la solidarité sociale, il faut qu'on ait soit un ennemi extérieur soit une minorité opprimée. Nous n'avons pas d'ennemis extérieurs, de sorte qu'il nous faut tirer parti au maximum de nos Chauds. Ils sont ce qu'étaient les juifs sous Hitler, ce qu'étaient les bourgeois sous Lénine et Staline, ce qu'étaient jadis les hérétiques dans les pays catholiques et les papistes chez les protestants. Si n'importe quoi va de travers, c'est toujours la faute des Chauds. Je ne sais pas ce que nous ferions sans eux.
- Mais ne réfléchissez-vous jamais à ce qu'ils doivent éprouver, eux ?
- Pourquoi le ferais-je ? Tout d' abord, c'est la Loi. Triste châtiment pour avoir été puni. Deuxièmement, s'ils sont avisés, ils ne se feront pas punir. Tout ce qu'ils ont à faire, c'est éviter d'avoir des enfants pendant la saison interdite, et dissimuler qu'ils deviennent amoureux et entretiennent des relations permanentes avec des personnes de sexe opposé. Et, s'ils ne veulent pas être prudents, ils ont toujours la ressource de s'enfuir.
- De s'enfuir ? Où cela ?
- Il y a une petite communauté dans le Nord, près de Fresno.
Elle est composée à 85 % de Chauds. Le voyage est dangereux, bien entendu. Très peu d'eau en cours de route. Et si nous les pinçons, nous les enterrons vifs. Mais s'il leur plait de courir ce risque ils sont parfaitement libres de le faire. Puis, enfin, il y a la prêtrise." Il fait le signe des cornes. "Tout garçon intelligent, qui manifeste de bonne heure des tendances à être un Chaud, a son avenir assuré : nous en faisons un prêtre."

[p166] "- Mais c'est tout de suite qu'il me faut plus de vivres, dit le Chef d'une voix impérieuse. Il me les faut cette année même." Non sans appréhension, le Pr Poole est contraint de lui dire que les variétés de Plantes résistant aux maladies ne peuvent être produites et éprouvées en moins de dix à douze ans, Et, d'ici là, il y a la question du terrain ; l'érosion est en train de détruire le sol, il faut, à tout prix, enrayer le processus. Mais les travaux d'établissement de terrasses, de drainage et de terreautage sont énormes et doivent être suivis sans relâche, d'année en année. Même dans les temps anciens, alors que la main-d'oeuvre et les machines étaient abondantes, les gens n'avaient pas réussi à faire ce qui était nécessaire pour conserver la fertilité du sol.
"Ce n'est pas parce qu'ils ne pouvaient pas, intervient l'Archi-Vicaire. C'est parce qu'ils ne le voulaient pas. Entre la Seconde Guerre mondiale et la Troisième Guerre mondiale, ils disposaient de tout le temps et de tout l'équipement nécessaires. Mais ils ont préféré s'amuser avec la politique de la puissance, et quelles en ont été les conséquences ?" Il compte les réponses sur ses doigts potelés. "Aggravation de la malnutrition pour un nombre plus grand de gens. Accroissement de l'instabilité politique. D'où nationalisme et impérialisme plus agressifs. Et, finalement, la Chose.

[p186]
- Pourquoi dis-tu qu'Il ne peut pas nous faire de mal ? Parce qu'il y a quelque chose de plus puissant que Lui.
- Quelque chose de plus puissant ? Elle secoue la tête. C'est contre ça qu'Il s'est toujours battu, et c'est Lui qui a gagné.
- Uniquement parce que les gens L'ont aidé à gagner. Mais ils ne sont pas forcés de L'aider. Et souviens-toi qu'il ne pourra jamais gagner pour de bon.
- Pourquoi ?
- Parce qu'Il ne pourra jamais résister à la tentation de pousser le mal à sa limite. Et chaque fois que le mal est poussé à sa limite, il se détruit lui-même, toujours. Après quoi l'Ordre des Choses revient à la surface.